Le mythique pays dogon a séduit plus d’un visiteur au Mali. Afin d’offrir un retour aux sources aux Maliens originaires de cette région aujourd’hui sinistrée par l’arrêt total du tourisme et de la faire redécouvrir aux visiteurs du festival, les organisateurs ont placé la barre haut. La première édition du festival culturel dogon s’est déroulé du 29 au 31 janvier dernier sur la Place du cinquantenaire à Bamako avec un programme aussi riche que varié alliant tradition et modernité. Durant trois jours, les artisans dogon ont pu exposer leur savoir-faire à Bamako puisqu’en raison de la crise qui frappe le tourisme, les produits du pays dogon ne s’exportent plus comme avant. Avec un budget de 150 millions, financé par les entreprises comme Toguna SA, le festival dogon aura marqué les esprits. Vivement la prochaine édition!
Pour une industrie de la culture
Marginalisée, la culture est l’un des portefeuilles ministériels les plus pauvres en termes de budget. Pourtant, la renommée du Mali est aussi due à sa grande richesse en la matière.
0,37 %, c’est ce que représente sur le total le budget alloué à la culture au Mali. Un chiffre très mince, compte tenu de la grande richesse culturelle du pays. Au département dédié, dirigé par Mme N’Diaye Ramatoulaye Diallo, on espère que ce chiffre atteindra 1 %. « Ensuite nous verrons avec les acteurs culturels comment convaincre que ces 1 % sont mérités. Il y a une campagne de plaidoyer actuellement auprès de l’Assemblée nationale et du gouvernement afin de voir comment augmenter ce budget ».
L’une des solutions serait d’industrialiser le secteur, ce qui permettrait aux Maliens et aux étrangers d’en apprendre davantage sur le patrimoine culturel du pays. En plus, « cela peut réduire le taux de chômage », atteste El Hadj Djitteye, activiste culturel et chercheur sur l’héritage culturel du Mali, en particulier sur le patrimoine de Tombouctou. De plus, mettre sur pied une vraie industrie culturelle permettrait aux régions du nord – où le tourisme est en berne depuis 2012 – de « développer la vente en ligne des produits artisanaux. Cela peut développer le secteur et permettre aux artisans de vivre de leur art », déclare-t-il.
L’aspect économique a une grande importance, puisque les retombées peuvent générer des revenus, en plus de la visibilité, pour un secteur souvent qualifié de « parent pauvre ». Parler d’industrialisation de la culture a donc du sens. Au ministère, on soutient « elle est nécessaire. Notre premier effort a été de doter le Fonds du cinéma d’un budget de 6 milliards sur 3 ans, de voir l’impact que cela peut avoir sur l’industrie cinématographique et de l’étendre aux autres secteurs de la culture ».
D’ailleurs, le cinéaste Souleymane Cissé, lors de son intervention au forum Invest in Mali, a évoque ce sujet. « Il n’y aura jamais de développement sans culture. Il est temps que le Mali fasse de l’industrie culturelle sa force. Cela est indispensable à notre survie ». Quant à El Hadj Djitteye, il estime que la « créativité doit être au cœur des débats politiques et le gouvernement doit accompagner les initiatives culturelles pour un Mali meilleur ».
« Les sites classés au Patrimoine mondial ne sont pas assez valorisés », regrette le chercheur, qui pense que les Maliens ne mesurent pas assez l’importance de leur héritage culturel, ce qui explique que le gouvernement « oublie » le secteur. « Il faut que les pouvoirs publics prennent en main la culture. C’est une ressource certaine. Investir dans la culture, c’est investir dans l’avenir », conclut-on au ministère.
Iba One : « J’ai fait du chemin »
Après avoir réussi le pari de remplir le Stade du 26 mars à l’occasion de la célébration de ses 10 ans de carrière, le 25 novembre dernier, le rappeur Iba One revient sur cette décennie qui l’a vu voler très haut dans l’univers du rap malien. Sans langue de bois, et se prenant très au sérieux, le rappeur n’élude aucun sujet.
Journal du Mali : Quel bilan pour ces 10 ans de carrière ?
Iba One : En 10 ans, il y a eu beaucoup de progrès. J’ai fait du chemin. Cela n’a pas été simple, il y a eu des difficultés, mais j’ai sorti beaucoup d’albums, fait plusieurs tournées dans la sous-région et à l’international, et ma popularité s’est considérablement accrue.
S’il fallait ne garder qu’un seul souvenir, lequel serait-ce ?
Ce sera le concert pour les 10 ans. Ce que je n’avais jamais pu faire auparavant et que personne d’autre au Mali n’a fait dans la musique, remplir le Stade du 26 mars. C’est un grand souvenir.
De toutes les chansons, au cours des 10 années, laquelle a le plus marqué ?
J’en citerai plutôt deux. D’abord le morceau qui m’a donné du crédit, Alhamdoulilaye (2009). C’était une première dans le rap malien et ce titre est devenu un phénomène. Après, il y a Allah ka latikè (C’est Dieu qui l’a voulu, 2016), qui a dépassé l’entendement. C’est un morceau très intimiste, dans lequel je parle de ma mère, qui, en dépit de sa maladie, reste celle qui m’a mise au monde. Je voulais montrer à travers cette chanson que nos mamans doivent être tout pour nous.
Dans le milieu très concurrentiel du rap malien, comment se maintenir au top ?
Beaucoup de rappeurs ont disparu parce qu’ils faisaient du clash (des morceaux d’invectives, ndlr). Nous pouvons tous atteindre le sommet, mais s’y maintenir n’est pas donné à tout le monde. Ils ne changent pas non plus de style. C’est toujours la même chose, on se complait dans la facilité. Mais Iba chante avec rigueur, avec rage et avec sérieux. Je mélange tous les styles, de l’Afrotrap à l’Afrobeat, en passant par le RnB… Dès que le monde change, Iba change avec le monde. Les autres non, et c’est pour cela qu’ils calent.
Pourtant Iba One aussi a fait des clashes…
Je l’ai beaucoup regretté, parce que beaucoup d’enfants m’ont écouté. Mais les gens ne connaissent pas vraiment la cause de ces clashes. Ce qui m’est arrivé était trop dur. Je voulais qu’on arrête d’insulter ma mère, car elle a beaucoup souffert. Jusqu’à mes quinze ans, ma mère ne reconnaissait pas à cause de sa maladie. On demandait à des enfants de lui lancer des pierres et ces actions étaient filmées et mises sur Facebook. Je suis un homme, il fallait que je réagisse. Je l’ai fait d’une manière qui aurait pu me valoir la prison, mais cela n’a pas marché. Je suis donc entré en studio pour riposter, pour m’apaiser, et afin qu’ils laissent ma mère en paix.
Votre aventure musicale a commencé avec Sidiki Diabaté. Quelles sont vos relations aujourd’hui ?
Si je devais jalouser le succès de Sidiki Diabaté, je serais le seul à être devenu célèbre. Il y a beaucoup de beatmakers dans le pays, mais c’est moi qui ai fait sortir de l’ombre le mien. Si j’avais été méchant, je n’aurais jamais accepté qu’il vienne avec moi lors des concerts, je n’aurais pas cité son nom dans mes chansons, il m’aurait juste fait des beat et je l’aurais payé en fonction de cela. Sur toutes mes affiches de concert, ici au Mali, j’ai toujours mis Sidiki Diabaté. C’est plutôt lui qui a fait des concerts avec d’autres personnes sans que je ne sois invité. Mais je ne le prends pas mal, c’est son point de vue. […] Je n’ai pas à le jalouser, s’il est quelqu’un aujourd’hui, j’en suis fier, car c’est aussi le Sidiki Diabaté d’Iba One.
D’autres collaborations dans le futur ?
Vous ne le croirez pas. Je rêve de faire des featurings avec Drake, Lil Wayne, Kendrick Lamar, Kanye West, Jay-Z. Je ne suis plus en Afrique. Davido peut chanter, il n’est pas meilleur que moi, Wizkid peut faire ce qu’il veut, il ne m’arrive pas à la cheville. Ceux à qui le show-biz malien fait les yeux doux n’ont jamais pu remplir le Stade du 26 mars. Je l’ai fait.
Comment te vois-tu dans 10 ans ? Quelles sont tes perspectives ?
Comme un acteur de cinéma, un producteur ou businessman. Je vois des logements sociaux Iba One, mon jet privé, mes yachts, mes sociétés, de grands buildings à mon nom. Je rêve que des milliers de personnes travaillent pour moi, qu’il y ait des fondations auxquelles je ferai des dons pour venir en aide aux malades mentaux. Cela tout en gardant un œil sur le rap malien.
Biennale artistique et culturelle 2017 : une édition spéciale de retrouvailles
Les enfants du Mali se retrouvent à Bamako du 24 au 31 décembre, à l’occasion de cette édition spéciale de la biennale artistique et culturelle. Le Président Ibrahim Boubacar Keïta a présidé la cérémonie d’ouverture de cet évènement inclusif au Stade Omnisports Modibo Keïta. Des membres du gouvernement, présidents des institutions, gouverneurs des régions et plusieurs autres personnalités dont le ministre nigérien de la culture étaient présents. Des expressions culturelles et symboliques ont marqué ce lancement.
« De même que la beauté d’un tapis tient à la variété de ses couleurs, la diversité des hommes, des cultures et des civilisations fait la beauté et la richesse du monde », disait Amadou Hampâté Bâ dans sa lettre adressée à la jeunesse en 1985. Cette célèbre citation, va bien à l’esprit de la biennale artistique et culturelle instaurée dès la première République. L’évènement répond au besoin de réunir les enfants du pays de différentes régions, issus de différentes communautés pour se retrouver tous les deux ans autour de l’art et de la culture. Dimanche 24 décembre, le Stade Omnisports Modibo Keita a été le lieu idéal où se sont retrouvés les jeunes de toutes les contrées du pays, de Kayes à Taoudeni, en plus de ceux du district de Bamako. La jeunesse de la diaspora ainsi que l’association des personnes vivant avec un handicap complètent le décor. Près de 800 participants séjourneront, certains pour la première fois à Bamako. Au-delà de la culture, l’occasion est unique, dans un contexte de crise, pour les fils du pays de se découvrir, se connaître et s’aimer davantage. Selon la ministre de la Culture, madame N’Diaye Ramatoulaye Diallo, la biennale artistique et culturelle n’est pas seulement la culture, ni une compétition entre les régions, ni la fête du folklore malien, mais « c’est à la fois tout cela ». Un évènement de « tous les enfants du Mali » où « personne ne peut être laissé sur le bord de la route », souligne la ministre, pour qui, ce rendez-vous est « un effort de rapprochement des peuples dans une dynamique de destruction des barrières entre eux.»
La paix par le symbole et les exemples
La crise de 2012 a occasionné une blessure encore douloureuse dans l’architecture sociale de notre pays. La dimension de la tragédie et de l’épreuve ont été inégalées dans l’histoire du Mali. Pour madame N’Diaye Ramatoulaye Diallo, le retour de la paix passe par le symbole et les exemples. La tenue de l’évènement s’inscrit dans cette optique, pour renforcer le dialogue interculturel. « Le monde attend de voir le Mali se réconcilier », a-t-elle déclaré lors de la cérémonie d’ouverture. Pour mettre l’accent sur le geste et le symbole, la ministre a invité le stade à se lever pour que chacun salue son voisin direct au nom de la paix, de la cohésion sociale et du vivre ensemble.
Le défilé des troupes a également été riche en chants, danses et habillements du terroir. Chaque région a montré un avant-gout de son savoir culturel sous les applaudissements d’un public acquis. La prestation de l’humoriste Kanté qui mélange le faire rire et des messages de paix, a agrémenté les instants. Devant l’assistance, des symboles représentatifs de toutes les régions du Mali étaient dressés. « Nous avons voulu mettre en évidence les différentes régions, chacune, par ce qui la caractérise. Les tentes qui caractérisent généralement les régions nord du Mali, les greniers, les maisons d’habitations en toit de paille, les maisons isolées, celles des devins, le style soudano-sahélien, c’est le Mali en entier qui est symbolisé par ces dessins », explique Dr Fodé Moussa Sidibé, tête pensante des œuvres.
C’est dans cet univers reconstitué qu’est apparu un peuple en paix. Chaque communauté vit en symbiose avec ses voisines. Mais tout d’un coup « ce Mali paisible » tombe dans le malheur. Les femmes, mains sur les têtes se lamentaient, leurs époux par terre, fauchés par la mort. Les activités sont arrêtées. Les enfants qui jouaient autrefois sont désemparés. Le spectacle était vraisemblable. Les voix mélodieuses, mais en ce moment mélancoliques de Djeneba Seck et Haïra Arby ont résonné dans ce Stade sous un silence effroyable. Tout à coup une voix se fit entendre, appelant le Mali et les Maliens à se mettre debout. Le peuple recommence à se lever, puis à se retrouver et à danser tout en chantant. Dr Fodé Moussa Sidibé explique le message véhiculé, « il y avait le Mali paisible qui vient être perturbé, après cela, la paix revient et les gens reprennent leurs occupations. Finalement, il y a eu l’arrivée d’un Mali, représenté par l’hippopotame et la carte d’un Mali un et indivisible, tel est le message fondamental », commente-t-il. Cette activité de fraternité et de brassage, « permettra aux gens de Kidal de passer une bonne semaine avec ceux de Kayes, de Sikasso et tout le pays se retrouve dans l’art, la compétition, et la joie », renchérit Dr Fodé Moussa Sidibé.
C’est en fondant l’espoir sur un nouvel élan autour du pays, que le président IBK a déclaré avec « bonheur » l’ouverture de la biennale artistique et culturelle. La manifestation au regard de l’ambiance d’ouverture promet d’être un merveilleux souvenir pour tous les participants et d’être imprégné à jamais des valeurs culturelles de la nation.